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Social

Licenciement sans cause réelle et sérieuse

Troyes, Lyon et Amiens : la justice prud’homale entre en résistance contre le barème Macron

Le « barème Macron » d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse avait franchi sans encombre un référé-suspension devant le Conseil d’État et la barre du Conseil constitutionnel. Mais les choses se compliquent devant les conseils de prud’hommes. Après une décision favorable au barème en septembre 2018, trois jugements rendus coup sur coup en décembre 2018 ont au contraire écarté le barème, pour non-conformité à la Convention 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) ou à la Charte sociale européenne.

L’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a bouleversé les règles d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse en imposant au juge de respecter un barème de dommages et intérêts, dont les montants planchers et plafonds dépendent de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise (ord. 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23 ; c. trav. art. L. 1235-3).

Côté Conseil d’État et Conseil constitutionnel : le barème passe la barre

Avant même sa ratification, cette ordonnance avait fait l’objet, devant le Conseil d’État, d’une action en référé-suspension (c. justice administrative art. L. 521-1), sur le fondement :

-d’une part, de l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;

-d’autre part, de l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Le Conseil d’État a cependant jugé que le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse n’entrait pas en contradiction avec ces traités, notamment parce que le juge français conservait une certaine marge de manœuvre, qui lui permettait d’accorder une réparation en lien avec le préjudice subi. La juridiction administrative a également noté que le code du travail prenait soin d’écarter le barème dans les cas justement les plus préjudiciables : licenciement nul, car discriminatoire, intervenu en violation d’une liberté fondamentale, dans un contexte de harcèlement, etc. (c. trav. art. L. 1235-3-1). Pour le Conseil d’État, il n’y avait donc pas lieu de suspendre l’exécution de l’ordonnance (CE 7 décembre 2017, n° 415243).

Lors de l’examen de la loi de ratification des ordonnances Macron, le Conseil constitutionnel a pour sa part jugé le barème conforme à la Constitution, avec des arguments comparables, mais sans se prononcer, par définition, sur sa validité au regard de la Convention 158 de l’OIT, question qui n’est pas de sa compétence (C. constit., décision 2018-761 DC du 21 mars 2018, JO du 31).

Côté juge prud’homal : en décembre 2018, trois jugements qui écartent le barème

Malgré ces décisions, plusieurs justiciables ont invoqué la Convention 158 de l’OIT et la Charte sociale européenne pour inciter des conseils de prud’hommes à ne pas prendre le barème en considération pour fixer le montant de leur indemnisation. Notons en effet que ces deux traités peuvent être invoqués dans un litige entre un salarié et un employeur (CE 19 octobre 2005, n° 283471 ; cass. soc. 29 mars 2006, n° 04-46499, BC V n° 131 ; CE 10 février 2014, n° 358992).

Ces arguments n’ont pas porté leurs fruits devant le conseil de prud’hommes du Mans, qui, d’une part, a refusé d’appliquer l’article 24 de la Charte sociale européenne et, d’autre part, a considéré que le barème était conforme à la Convention 158 (CPH du Mans, 26 septembre 2018, RG F 17/00538 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/20181214_CPH_LeMans_26sept18.pdf).

Mais cette décision fait presque figure d’exception après trois jugements prononcés en décembre 2018, qui semblent témoigner de l’émergence d’un mouvement de résistance de la justice prud’homale au « barème Macron ».

Première décision portée à notre connaissance, celle rendue le 13 décembre 2018 par le conseil de prud’hommes de Troyes, qui a considéré que le barème de l’article L. 1235-3 violait la Charte sociale européenne et la Convention 158 de l’OIT (CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/20181214_CPH_Troyes_13dec18.pdf ; voir notre info du 14 décembre 2018 sur Social-Expert http://www.social-expert.com/actualites/fil-quotidien/article/id/flash-social-42710 ou sur RF Social http://rfsocial.grouperf.com/flash/index.php?id=42710).

Le conseil de prud’hommes d’Amiens a ensuite enfoncé le clou, dans un jugement du 19 décembre 2018, cette fois sur le seul fondement de la Convention 158. Dans cette affaire, les conseillers prud’hommes sont sortis de la fourchette fixée par le barème pour décider d’une indemnité plus « appropriée », selon la terminologie employée par la Convention (CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/CPH_amiens_2018-12-19_bareme.pdf).

Notons que le conseil évaluait à un demi-mois de salaire l’indemnité due au salarié en application du barème. Cependant, à la lecture des faits, et si l’on pose pour hypothèse que le salarié justifiait de deux années complètes d’ancienneté dans une entreprise de moins de 11 salariés, cette moitié de mois de salaire correspondait en réalité au montant plancher de l’indemnité. Sous réserve d’éléments de faits qui n’auraient pas été détaillés par la décision, le conseil de prud’hommes pouvait théoriquement aller jusqu’à 3 mois et demi de salaire.

Enfin, le conseil de prud’hommes de Lyon vient de rejoindre la fronde, par une décision du 21 décembre 2018 qui ne fait même pas allusion au barème légal : pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les conseillers prud’homaux se sont contentés de faire référence à la Charte sociale européenne (CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG F 18/01238 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/CPH_lyon_2018-12-21_bareme.pdf).

Une période d’incertitude

Ces décisions ouvrent donc une période d’incertitude, car si certains conseils de prud’hommes vont vraisemblablement s’inscrire dans la jurisprudence « Troyes-Amiens-Lyon », d’autres préféreront s’en tenir à celle plus orthodoxe du conseil de prud’hommes du Mans. On attend également avec impatience la position des cours d’appel sur le sujet.

En tout état de cause, pour y voir plus clair, employeurs et salariés n’ont pas d’autre choix que d’attendre que l’une de ces affaires arrive devant la Cour de cassation. Celle-ci décidera alors une fois pour toutes si le barème Macron est conforme ou non à la convention 158 de l’OIT et/ou à la Charte sociale européenne.

CPH d’Amiens, 19décembre 2018, RG F 18/00040 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/CPH_amiens_2018-12-19_bareme.pdf ; CPH de Lyon, 21décembre 2018, RG F 18/01238 ; http://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/CPH_lyon_2018-12-21_bareme.pdf

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Date: 28/03/2024

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